COMPRENDRE pour RÉUSSIR. Influence de la métacognition sur la réussite Michel Grangeat - Article paru dans le n° 320 des Cahiers pédagogiques (1994)http://www.cahiers-pedagogiques.com |
Apprendre, c’est comprendre, c’est "prendre avec soi" une connaissance nouvelle pour en faire un savoir personnel ; cela exige un questionnement sur cette connaissance et sur la manière de l'acquérir, nommé métacognition. Pratiquée intuitivement par les élèves qui réussissent, cette réflexion est à instituer pour tous. Ce texte étudie son influence en prenant l’exemple de classes de sixième d’un collège de Zone d’Éducation Prioritaire.
Dans l’établissement étudié, une recherche a été menée avec des professeurs qui se sont concertés, tout au long de l'année scolaire, pour rendre plus cohérent leur dispositif d’enseignement en développant cinq points du projet d’établissement : utiliser l'évaluation nationale, organiser des groupes de besoin, déterminer les difficultés d'ordre méthodologique, publier des objectifs notionnels et instaurer un climat respectueux d'autrui. L'attribut commun à toutes ces actions, c'est la centration sur la réflexion par rapport à la manière d'apprendre, c'est la prise de recul par rapport aux connaissances enseignées. Cette attitude est constitutive de la métacognition, qui recouvre, cependant, un domaine beaucoup plus large ; néanmoins, nous pouvons chercher si ce dispositif d'enseignement, fondé sur une attitude de métacognition, améliore la réussite des élèves.
Utiliser l’évaluation d’entrée en sixième
Pour tester la validité de ces actions, la recherche est centrée sur trois classes dont les professeurs de français et de mathématiques répartissent, une fois par semaine, leurs élèves en groupes de besoin. Afin de mieux éclairer l'intérêt de ces pratiques pédagogiques, leurs résultats ont été comparés à ceux d'un groupe, servant de témoin, sélectionné dans un collège semblable à celui où se déroule la recherche mais où les professeurs ne pratiquent pas, de manière concertée, d’activités de métacognition ou de différenciation.
Pour mesurer l'évolution de la réussite, l'évaluation d'entrée en sixième a été choisie afin d'alléger au maximum les contraintes dans les classes, et, de situer la recherche au niveau de ce qui peut être entrepris par toute équipe pédagogique désireuse d'améliorer ses pratiques. Tous les exercices n’étant pas pertinents pour tester la validité de l’hypothèse, quatre d’entre eux, nécessitant un traitement de l'information, ont été sélectionnés dans la partie mathématique de l'évaluation (n° 3, 4, 7 et 36 de l'année 1992). Comme ils mobilisent peu la restitution de connaissances ou la reproduction de procédures, ce n’est pas simplement l’enseignement mathématique qui est évalué ici mais plutôt la capacité à construire un raisonnement. À la fin du second trimestre, un test final, aux structures identiques à celles du test d'entrée, contrôle l'évolution des résultats.
L’équipe pédagogique a décidé de repérer les élèves grâce à trois catégories : la A pour les élèves ayant un nombre de réussites supérieur à 8 items sur 11, la B pour ceux dont le score est compris entre 8 et 6, et la C quand celui-ci est inférieur à 6.
Une progression significative
Dans le collège étudié, les résultats à ces évaluations montrent une amélioration significative des réussites : la catégorie C passe de 29%, en septembre, à 14%, en avril, soit une baisse de 15%. Cette amélioration est confortée par l’étude du nombre d’items réussis qui montre une sensible progression des réussites (30% des élèves gagnent au moins 2 points) ; cette évolution s’accompagne d’une faible proportion d'enfants qui régressent (4% perdent au moins de 2 points).
Dans le collège témoin également, l'amélioration de la réussite est attestée. Toutefois, passant de 18 à 7%, la catégorie C diminue moins que dans le collège étudié (11%). L’étude du nombre d’items réussis montre, d’ailleurs, une proportion non négligeable d'enfants qui régressent (12% perdent au moins 2 points) et, simultanément, une progression des élèves plus sensible que dans le collège observé (35% de l'effectif).
De manière à affiner la comparaison, deux échantillons identiques d’élèves avaient été sélectionnés en appariant leurs résultats à l’évaluation de septembre. L'évolution de ces élèves confirment les tendances observées dans les classes : la réduction de la catégorie des élèves en difficultés, notamment, qui est moindre dans le collège servant de témoin. Initialement, la catégorie C représentait 23% des échantillons ; en avril, elle ne représentait plus que 4% de celui du collège étudié, contre 11% pour le collège témoin. Ceci est confirmé par l’étude du nombre d’items réussis.
Ces résultats corroborent ceux d'études sociologiques qui montrent "que les scolarités au collège accentuent encore les écarts existant à l'entrée, les élèves initialement les plus forts progressant davantage que les élèves initialement les plus faibles" *.
Réduire l’hétérogénéité
Nous pouvons donc conclure que les actions menées dans le collège étudié contribuent à réduire l'hétérogénéité en diminuant la divergence de résultats entre ceux qui ont de plus en plus de réussites et ceux qui, sans ces dispositifs de différenciation et la réflexion de l’équipe éducative, s'enfermeraient dans les difficultés.
Cette différence de résultats est accentuée par l'écart de composition sociologique entre les deux collèges. En ce qui concerne les critères généralement observés (l'âge, l’origine géographique, et la proportion d'enfants issus de catégories sociales "défavorisées"), les deux échantillons sont semblables ; par contre, ils divergent si l'on compare la catégorie socioprofessionnelle de la mère et la composition de la famille. Or, des analyses récentes montrent qu'à niveau de ressources culturelles global comparable, c'est dans les familles où la mère est la plus instruite que les enfants réussissent le mieux. Dans les deux échantillons, la proportion de mères appartenant aux catégories socioprofessionnelles moyennes ou favorisées passe de 17% pour le collège étudié à 42% pour le collège témoin ! De plus, à milieu social égal, l'influence du nombre d'enfants par famille est déterminante ; les enfants de familles n'en comportant qu'un ou deux ayant une meilleure réussite*. Or, entre les deux échantillons, les compositions familiales sont opposées : dans le collège étudié 70% des familles ont plus de deux enfants, alors que, dans l'autre, 62% en ont deux, au plus !
Ainsi, malgré la similitude des grands critères de répartition, l'amélioration des réussites scolaires s'effectue, pour le collège de ZEP où se déroule la recherche, avec un handicap lié à des facteurs sociologiques fins, mais déterminants : la catégorie socioprofessionnelle des mères, donc leur niveau d'instruction, et la taille des familles, donc les conditions de travail des élèves à la maison. Ce qui justifie totalement les structures d'aide au travail personnel des élèves.
Un perfectionnement envisageable
L'analyse fine des résultats des actions menées atteste donc de l'amélioration de la réussite dans le collège où se déroule la recherche et la comparaison des deux établissements laisse apparaître quelques résultats essentiels :
- dans les deux groupes, les résultats s'améliorent, mais, dans le collège étudié, la proportion d'élèves en difficulté ou en échec reste importante, comme dans toute Zone d'Éducation Prioritaire.
- l'action menée par les professeurs de ce collège, visant à prendre du recul par rapport à l'acte d'apprendre, permet de réduire notablement l'hétérogénéité des élèves en diminuant fortement la proportion d'enfants en difficulté et, également, en annulant quasiment la part de ceux qui régressent entre les deux évaluations.
- la part des élèves qui progressent, dans le collège étudié, semble en deçà de celle du collège témoin, ce qui montre qu'un perfectionnement de l'action est envisageable. Celui-ci devrait se structurer autour d’une dévolution plus organisée des activités métacognitives en direction des élèves eux-mêmes.
Ce que pensent les élèves à propos des actions menées
Quelques élèves ont été interrogés dans le but d'identifier les dispositifs pédagogiques qu'ils avaient perçus comme importants.
De manière manifeste, l'action visant à l'amélioration du climat de l'établissement par un meilleur respect des autres est très appréciée des élèves de sixième qui ont fait des progrès. Pour eux, "la discipline, ça marche" car cela permet de mieux écouter en classe et, donc, de mieux comprendre.
Les groupes de besoin leur sont utiles car ils permettent de "faire beaucoup d'activités". Cependant, deux élèves n'avaient pas perçu le lien entre le travail de ces groupes et le développement du cours. Après réflexion, ils comprennent que les activités des groupes de besoin devançaient et préparaient la leçon. Lever l'implicite du dispositif pédagogique, même le plus centré sur les élèves, de manière à ce qu'ils en profitent au maximum semble, donc, une réelle piste d'amélioration pour l'avenir. De plus, ces groupes de besoin leur donnent le sentiment de "travailler mieux puisqu'il y a moins d'élèves" mais aussi parce que les "bons" sont avec les "bons" et les "mauvais" entre eux ; mais ils ne savent pas s'ils sont "bons" ou "mauvais". Cette ignorance comporte un aspect positif, elle montre que ces groupes n'étaient pas des groupes de niveau, mais, elle est également néfaste puisqu'elle dénote un manque d'auto-évaluation.
Les objectifs distribués en cours d'année induisent ce comportement évaluatif, d'autant plus que ceux-ci "reviennent dans les questions du contrôle." Reprendre la grille, remplie avant le contrôle, permet de mieux réviser. À les entendre, ces enfants ne travaillent pas seuls et la grille d'objectifs semble un guide pour l'adulte qui les aide. Développer, par des pauses méthodologiques intégrées à l'enseignement, des capacités d'auto-évaluation trace, donc, une autre piste d'amélioration de l'efficacité des pratiques pédagogiques.
Enfin, tous remarquent qu'ils comprennent beaucoup mieux le professeur qu'au début de l'année scolaire ; même en insistant, ils ne pensent pas que cela soit dû à un changement de leur part. Cette absence d'assurance, quant à sa propre pensée, peut dégager une troisième piste d'action pour l'avenir, d'autant plus que ces élèves sentent que, bien qu'ils écoutent, ils n'arrivent pas "à tout garder" et qu'ils ne savent pas nécessairement déterminer l’essentiel du cours.
Michel Grangeat